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LA VIE hebdo n° 2785 du 14 au 20 janvier 1999:
Frères de l’Univers
Les baha'is, disciples d'une religion universelle qui réconcilierait
toutes les confessions, viennent de célébrer les cent ans
de leur implantation en France / Témoignages. par Benoît
Hervieu-Léger
Ils sont une trentaine, rassemblés un soir de décembre
au septième étage d'un immeuble de Créteil. Assis
en cercle dans un salon cossu l'apéritif en moins. Ici, l'alcool
est proscrit. Pourquoi? La suite le dira: ce qui semblait débuter
comme une réunion de copropriété est en
réalité une célébration religieuse.
Le silence tombe brusquement. Posément, huit personnes se
relaient pour lire des poèmes tirés d'un petit
bréviaire. Les textes invoquent l'unicité de Dieu,
l'unité du genre humain et l'unité de toutes les religions.
L'auteur de ces paroles généreuses ? Il est là, lui
aussi. Ou du moins son portrait de vieux sage débonnaire,
cloué sur le linteau supérieur de l'entrée. Il a pour
nom ‘Abdu’l-Baha et les hôtes du salon sont ses héritiers
spirituels: les baha'is.
A l'instar des six millions de baha'is dispersés dans plus de
200 pays, la communauté de Créteil célébrait,
ce soir-là, la fête dite du dix-neuvième jour.
« Le calendrier baha'i compte dix-neuf mois de dix-neuf jours
chacun », explique Chiva Rouhani, présidente de
l'Assemblée spirituelle locale de Créteil (ASL),
dirigée collégialement par neuf membres élus pour
un an. «Le passage d'un mois à l'autre donne lieu a un
rassemblement en plus des réunions habituelles, au cours desquelles
un temps de prière précède les échanges de
nouvelles. »
En France, ils sont environ 2000 à se réclamer de la
« dernière religion monothéiste », née
en Perse, il y a cent cinquante ans. Sous un régime alors
dominé par l'intolérance religieuse et la corruption d'Etat,
un jeune commerçant surnommé le Bab (la porte, autrement dit
le précurseur en persan) ose prôner publiquement la
réforme morale de la société, l'égalité
des sexes et l'avènement d'un messie universel. Ses prises de parole
lui valent le peloton d'exécution le 9 juillet 1850, mais aussi des
disciples. Privés de leur guide spirituel, les babis se tournent
vers Baha'u'llah (1817-1892), un jeune dignitaire de la cour persane. Ils
croient trouver en lui le messie annoncé par le Bab, et deviennent
les baha'is. Emprisonné en Iran, puis transféré en
Palestine, celui que les baha'is considèrent comme leur élu
désigne son fils ‘Abdu’l-Baha (1844-1921) comme seul
interprète autorisé de son testament spirituel. La foi
baha'ie se vit aussi au nom du père et du fils.
« Pour nous, commente Brenda Abrar, de la communauté
niçoise, Baha'u'llah est le dernier prophète, dont la
parole se fonde sur deux principes clés: la citoyenneté
universelle et la révélation progressive, autrement dit la
foi en une religion unique, dont chaque prophète avant
Baha'u’llah, de Bouddha à Mahomet, en passant par Jésus
-Christ, a contribué à sa manière à diffuser
les enseignements. ‘Abdu’l-Baha représente, quant à
lui, l'exemple à suivre, la conduite à tenir pour coller au
plus près du message de Baha'u'llah, son père. »
« La diffusion de la foi baha'ie en Occident
est partie de l'Hexagone, note Lucien Crevel, président
élu pour un an de l'Assemblée spirituelle des baha'is de
France. Or, au terme d'un siècle d'implantation, nous sommes
toujours d'illustres inconnus. »
Président de l'Assemblée spirituelle
versaillaise, Arnaud Riou attribue ce manque de visibilité
« aux travers de la laïcité à la française.
En France, le grand public a du mal à cerner les identités
religieuses qui sortent du cadre des grandes religions
représentées, explique-t-il. Il est vrai que nous n'avons
pas de clergé: Baha'u'llah considère que l'humanité
a acquis une maturité suffisante pour pouvoir s'en passer. Nous
n'avons pas non plus de culte défini, ni d’équivalents
pour les sacrements. Il est vrai aussi qu'une religion qui reconnait
l'égalité parfaite entre toutes les autres passe souvent
pour un syncrétisme bizarre, voire une secte. »
Les suspicions de ce genre ont d'ailleurs coûté fort
cher à une communauté où l'on se dit très
attaché au principe d'intégration citoyenne. «
J'ai été arrêté à trois reprises dans
mon pays d'origine et placé en résidence surveillée,
raconte Abdelhamid Kherbouch, l'un des premiers baha'is
d'Algérie, installé à Versailles depuis quatre ans.
Dans un pays musulman comme l’Algérie, nous sommes
considérés comme des hérétiques, vu que nous
croyons en l'existence d'un prophète après Mahomet. Il nous
est interdit de constituer des Assemblées spirituelles. Or nous
refusons par principe d'entrer dans la clandestinité au nom du
respect des lois du pays. » En Iran, berceau du baha'isme,
où vivent encore 400 000 d'entre eux, trois nouvelles condamnations
à mort ont été prononcées en novembre par le
régime des ayatollahs et l'accès à l'université
demeure fermé aux jeunes.
« En France, la communauté baha'ie se compose encore
pour moitié d'iraniens exilés, en majorité depuis la
révolution islamique de 1979, souligne Saïd Rouhani,
établi à Créteil. De fait, on identitie souvent
notre foi à une religion perse, alors que son message porte bien
au-delà. » Et notamment chez des Français dits
de souche.
Ainsi, Alain Gueudré, 36 ans, coresponsable du service
informatique d'un grand quotidien national, devenu baha'i il y a quatre
ans. De père athée et de mère catholique pratiquante,
Alain Gueudré a rompu avec sa confession d'origine à
l'adolescence. « Vers la trentaine, j’ai entamé
un cheminement spirituel. J’ai pensé un temps à la
franc-maçonnerie, mais le goût du secret m'en a dissuadé.
Après avoir rencontré mon épouse, iranienne d'origine
et baha'ie, j’ai abordé les rares ouvrages baha'is traduits en
français: entre autres. Le Livre de la certitude, de Baha'u’llah,
ou les Leçons de Saint-Jean d'Acre, d’Abdu’l-Baha. J’y ai
trouvé des réponses concrètes à des questions
toujours très actuelles: les inégalités sociales, le
racisme, la mondialisation. » En février 1995, Alain
Gueudré s'engage donc et obtient sa «carte de créance
» (carte d'identité baha'ie, délivrée aux plus
de 21 ans, âge requis pour élire les
délégués de l'Assemblée spirituelle).
« La foi baha'ie est le lieu d'une réconciliation,
explique Michel Verhasselt, assureur de profession et membre de l'ASL de
Versailles. Je suis devenu baha'i à 22 ans, en 1984. Je menais
alors une quête spirituelle qui m 'a conduit à vouloir
accepter toutes les religions et trouver une solution de paix pour
l'humanité » De père catholique et de mère
juive, Alain Guéry, membre de la même ASL, dit avoir
«trouvé dans la foi baha'ie la solution à une double
appartenance religieuse, qui s'est longtemps traduite par des
déchirements identitaires ». Pour d'autres convertis,
l'absence de clergé, et donc de «contrôle spirituel
», a suscité l'adhésion de façon
décisive.
« Mais n'allez pas croire que tout nous soit permis,
confie un président d'ASL. Une discipline existe, dont toute
la communauté doit se porter garante. L'interdit sur l'alcool, la
chasteté avant le mariage ou «l'année de patience
» imposé à ceux qui veulent divorcer en
témoignent. » « C'est parfois difficile, confesse
une jeune baha'ie, mais nous savons qu'il faut ça pour être
dans le vrai. »
14 janvier1999 n° 2785 la vie
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