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TAGS: Bahai history by country; Communism; Opposition; Persecution; Persecution, Russia
LOCATIONS: Armenia; Azerbaijan; Caucasus; Georgia; Iran (documents); Ishqabad; Russia; Soviet Union; Turkmenistan
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Abstract:
Chapter on "the Bahá'ís of the Caucasus, the basics [lit. the ABCs] of an unknown community."
Notes:
Language: French.

Les Bahaïs du Caucase: b.a.-ba d'une communauté méconnue

by Azer Jafarov and Bayram Balci

published in Religion et politique dans le Caucase post-soviétique, pages 57-366
İstanbul: Institut français d’études anatoliennes, 2007
1Le bahaïsme est sans nul doute la plus modeste des composantes culturelles et religieuses du Caucase mais néanmoins il s’épanouit de nos jours surtout en Azerbaïdjan et un peu en Géorgie. Né au milieu du xixe siècle en Perse, aux marges des empires russe et ottoman, il ne tarde pas à trouver refuge dans le Caucase pour fuir la répression dont il est victime dans son pays d’origine. Bien que présent dans la région depuis plus de cent cinquante ans, le bahaïsme demeure encore mal connu des populations locales et fait l’objet de nombreux fantasmes. De ce fait, il nous paraît nécessaire, avant d’entrer dans le vif du sujet, d’établir un tableau synoptique de cette religion, issue de l’islam mais entretenant avec lui des relations peu faciles.

2Notre étude se focalisera sur l’articulation de deux phénomènes contradictoires qui affectent cette communauté depuis la fin de l’ère soviétique. D’un côté, du fait de la globalisation du religieux, elle connaît un certain renouveau, facilité par l’établissement des liens avec l’étranger. De l’autre, la confusion de plus en plus forte entre identité nationale et identité religieuse en Azerbaïdjan tend à diluer le bahaïsme dans l’islam national et officiel, tel qu’il est promu par les institutions de contrôle du religieux mises en place par l’État post-soviétique.

Histoire et expansion du bahaïsme

3La Foi bahaïe est une religion nouvelle fondée par Mirza Husayn’Ali (1817-1892), plus connu sous le titre de Baha’ullah (« Gloire de Dieu ») au milieu du xixe siècle en Perse. Ainsi le mot Baha’i vient de baha (gloire, splendeur) et qualifie les disciples de Baha’ullah. Cette religion est issue d’un autre syncrétisme, le Babisme, fondé en 1844 par Mirza Ali Muhammad de Chiraz, connu sous le nom de Bab, et qui proclamait la venue proche d’un nouveau prophète, messager de Dieu, « Celui que Dieu manifestera »[1]. Très vite, le message du Bab se répandit dans toute la Perse, provoquant de fortes oppositions de la part du clergé chiite et la répression du gouvernement perse. Le Bab fut arrêté puis, après plusieurs années d’incarcération, fut condamné à mort. Une vague de répression s’abattit sur ses fidèles dont 20 000 finirent par perdre la vie.

4À la suite d’une tentative manquée d’attentat contre la vie du Chah Nasiri’d-Din, perpétrée en août 1852 par deux Babis qui voulaient venger leur maître, Baha’ullah, un des premiers disciples du Bab, fut arrêté. Bien que clamant son innocence, il fut jeté dans le « trou noir », une prison célèbre de Téhéran. Selon les textes sacrés bahaïs, c’est là qu’il prit conscience de sa mission de messager divin. Relâché en janvier 1853 et exilé à Bagdad, il y prit la tête de la communauté babie et entreprit d’en raviver la foi. Inquiet, le gouvernement persan encouragea les autorités ottomanes à éloigner Baha’ullah et le nombre croissant de ses disciples des frontières de la Perse. Avant de partir pour Constantinople, Baha’ullah passa douze jours dans un jardin des environs de Bagdad et c’est là qu’il déclara à un petit nombre de Babis qu’il était le messager de Dieu dont la venue avait été prophétisée par le Bab[2]. C’était en avril 1863.

5De Constantinople, où il passa quatre mois, Baha’ullah fut transféré à Andrinople (Edirne) d’où il rendit publique sa mission au moyen de lettres, appelées Tablettes, adressées aux dirigeants de Perse, de Turquie, de Russie, de Prusse, d’Autriche, de Grande-Bretagne et de France ainsi qu’au Pape et au clergé chrétien et musulman.

6Une grande majorité de Babis reconnurent Baha’ullah et devinrent connus sous le nom de Bahaïs. Gêné par leur succès et l’accroissement rapide de leur communauté, le consul iranien d’Edirne demanda aux autorités ottomanes d’expulser Baha’ullah. Ce fut chose faite en 1868 puisque, sur ordre du sultan ottoman, Baha’ullah fut exilé dans une autre ville ottomane, à Saint-Jean d’Acre où il meurt en 1892.

7Avant de s’éteindre, Baha’ullah désigna son fils aîné, ‘Abdu’l-Baha, « Serviteur de la gloire » (1844-1921), comme chef de la communauté bahaïe et interprète autorisé de ses enseignements. Non seulement ‘Abdu’l-Baha administra depuis la Palestine les affaires du mouvement, mais il s’engagea activement dans la propagation de la foi, voyageant en Afrique, en Europe et en Amérique de 1910 à 1913. Il désigna par la suite son petit-fils aîné, Shoghi Effendi Rabbani (1896-1957), comme son successeur et l’interprète autorisé des enseignements de Baha’ullah[3].

8Pendant le ministère de ‘Abdu’l-Baha, des groupes bahaïs s’établirent en Afrique du nord, en Extrême-Orient, en Australie et aux États-Unis. Depuis, le mouvement s’est répandu un peut partout sur la planète avec des communautés particulièrement importantes en Afrique, en Iran, en Inde, aux États-Unis et dans certaines régions de l’Asie du Sud-Est. Son expansion dans le Caucase a commencé dès les premiers temps de sa révélation mais, avant d’analyser en détail sa progression dans l’empire russe de l’époque, présentons brièvement ses principes théologiques.

Littérature sacrée et pratique religieuse

9La littérature sacrée bahaïe est composée de l’ensemble des textes de Baha’ullah, de leur interprétation et de leur amplification dans les Écrits de ‘Abdu’l-Baha et de Shoghi Effendi[4]. Parmi la centaine d’ouvrages révélés par Baha’ullah, il faut en citer deux : Kitab-i-Aqdas (Le Plus-saint Livre), qui comprend ses lois, et Kitab-i-Iqan (Le Livre de la Certitude) qui expose ses enseignements essentiels sur la nature de Dieu et de la religion. Il faut aussi mentionner Les Paroles cachées, une collection de courts textes destinés à l’édification de l’âme des hommes et à la correction de leur conduite. Les Bahaïs croient que les Écrits de Baha’ullah sont inspirés et qu’ils constituent la révélation de Dieu pour cette époque[5].

10Ils croient que Dieu s’est révélé aux hommes à travers différents prophètes au fil des siècles. Ils considèrent que les révélations faites par Krishna, Moïse, Bouddha, le Christ ou Mahomet se complètent, chacune dépassant la précédente.[6] De ce postulat découle la croyance que les révélations de Baha’ullah et d’Abdul Baha dépassent, sans les contredire, les révélations antérieures de l’Ancien et du Nouveau Testaments ainsi que du Coran[7]. Cette nouvelle révélation, supérieure aux autres selon la foi bahaïe, serait devenue nécessaire à une humanité plus mûre et plus responsable qu’aux temps anciens.[8] Ils sont par ailleurs convaincus que les hommes sont à l’orée d’une nouvelle ère où ils formeront une seule nation et auront une seule religion. Cette conception évolutionniste de l’humanité est un point central de la vision sociale et religieuse bahaïe qui estime par ailleurs que « Dieu est unique et tous ses prophètes sont unis. L’humanité est une et entière ». Ils croient donc en un Dieu unique, créateur du monde, et suivent sur ces points les religions abrahamiques. Ils partagent également la même conception de l’humanité, placée par Dieu au sommet de la création.

11Les Bahaïs pensent l’homme comme un être essentiellement bon et capable, suivant le véritable enseignement des prophètes, de mener une vie droite. C’est le sens de cet extrait des Florilèges de Baha’ullah : « Après avoir créé le monde et tout ce qui vit et bouge ici-bas, Dieu, par l’opération directe de sa volonté souveraine et libre, a choisi de conférer à l’homme l’unique privilège et capacité de le connaître et de l’aimer. Toute la création est ordonnée à cette capacité voulue par Dieu. »[9]

12Les Bahaïs insistent beaucoup sur l’unité de l’humanité. Ils considèrent les divisions actuelles entre nations, races et religions comme des défauts appelés à disparaître à l’avènement de leur doctrine. C’est pourquoi, ils sont de fervents partisans des institutions des Nations-Unies, y voyant les signes précurseurs du gouvernement mondial qu’ils appellent de leurs vœux[10]. La doctrine des Bahaïs se trouve résumée dans ces propos de Shogi Effendi, dernier successeur de Baha’ullah : « Le but de la vie d’un Bahaï est de promouvoir l’unité de l’homme. Nos vies sont directement liées à celles de tous les êtres humains et nous ne désirons pas un salut personnel mais le salut universel. Notre but est de faire advenir une civilisation mondiale. »[11]

13Les Bahaïs observent un strict code de conduite fondé sur leur Livre saint, Kitab I Aqdas. Les principales obligations sont la prière quotidienne et un jeûne d’un mois, en mars, avant le début de la Nouvelle année. Ils encouragent la vie spirituelle personnelle, soutenue par la méditation des textes de Baha’ullah et d’‘Abdul Baha. Ils récitent aussi chaque jour leurs trois prières obligatoires, tournés en direction de Saint-Jean d’Acre et de Haïfa, où se trouvent leur centre mondial et leur Conseil international de Justice. Toutes les drogues sont strictement interdites, l’alcool en particulier, et l’usage du tabac est fortement déconseillé. Le mariage jouit d’une haute considération et les relations sexuelles pré-maritales, ainsi que l’adultère, sont condamnés[12]. Les Bahaïs suivent un calendrier de 19 mois de 19 jours chacun, soit un total de 361 jours. Les quatre « jours qui restent » sont consacrés à des festivités. Le premier jour de chaque mois est l’occasion d’une fête qui comprend trois volets : un premier temps réservé à la prière et à la méditation des textes sacrés ; puis les participants règlent ensemble démocratiquement les questions administratives concernant leur groupe ; enfin la rencontre se termine par un repas et des divertissements.

14La Russie, au moment de l’avènement du bahaïsme, est déjà politiquement et militairement très présente en Iran et le long de ses frontières. Guidée par une politique impériale qui la met en concurrence avec la Couronne d’Angleterre, elle s’intéresse de très près à ce qui se passe en Iran où elle est l’une des rares puissances européennes à entretenir une représentation diplomatique permanente[13]. De ce fait, elle est concernée et informée de ce qui s’y passe, y compris dans le domaine des idées politico-religieuses. Les questions théologiques de l’Empire persan l’intéressent d’autant plus que, historiquement, c’est souvent le clergé chiite qui poussa le Shah à faire la guerre à la Russie, ce fut du moins le cas en 1813 et 1828[14]. Ce vif intérêt explique la rapidité avec laquelle les Écrits de Baha’ullah ont été traduits en russe par des orientalistes de l’Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg et de Moscou[15]. Ces traductions ont contribué à un véritable engouement chez certains intellectuels russes pour la foi bahaïe.

15La répression que subissent les premiers convertis les obligea à s’exiler dans plusieurs directions et notamment en territoire russe, dans les steppes turkmènes et dans la région de Nakhitchevan. Ainsi, Achkhabad, capitale de l’actuel Turkménistan, principale ville du désert turkmène à l’époque et importante garnison russe dans la région, devient le principal foyer d’installation des exilés bahaïs. Largement étudiée par les spécialistes du bahaïsme[16], cette communauté est considérée comme l’exemple type d’une société bahaïe, fondée et régie selon les Écrits de Baha’ullah. Par son ordre, sa discipline et son organisation sociale, sa vie collective solidaire, basée sur l’entraide et la convivialité, elle suscite l’admiration des autorités politiques russes de l’époque. Elle possède, et c’est exceptionnel alors, ses propres hôpitaux, ses écoles, ses ateliers de travail, ses journaux et ses centres de loisir. Égalitaristes avant l’heure, les filles sont scolarisées, conformément aux prescriptions de Baha’ullah qui insiste sur l’instruction des filles. Le temple de la communauté, Mashriqul Adhkar, est le point de rassemblement et de cristallisation du groupe. Certains intellectuels européens n’hésitent pas à la comparer aux premières sociétés chrétiennes[17].

16Parallèlement à sa diffusion dans les provinces russes, cette nouvelle foi s’attire la curiosité et la sympathie des cercles intellectuels de Moscou et de Saint-Pétersbourg. Ainsi, l’écrivaine Isabelle Grinevskaya compose en 1903 une pièce de théâtre en cinq actes qu’elle intitule « Le Bab » et où elle fait l’apologie du bahaïsme qu’elle vient d’embrasser. Mais c’est Léon Tolstoï qui a le plus fait connaître cette nouvelle religion aux lecteurs russes de son époque. Admirateur de Baha’ullah, il aurait notamment été séduit par son progressisme, la rationalité de sa pensée mais surtout par le rôle positif qu’il accorde à la femme dans la société. Les thèses varient et se contredisent quant à savoir s’il s’est converti ou non à cette religion[18].

17Le premier contact entre le babisme (et donc le bahaïsme) et le Caucase eut lieu dans l’actuel Nakhitchevan. Dès l’annonce de l’arrivée prochaine de Baha’ullah, un groupe de disciples se forma sous la conduite de Sadiq, du village de Senend, près d’Ordubad. Le mouvement s’étendit dans tout le Nakhitchevan et la région de Zengezur. Inquiète face à ce mouvement qu’elle ne comprend pas au départ, l’armée russe, sous la conduite du général Behbudov, s’attaque à la nouvelle communauté dont on pense qu’elle dépassait les dix mille personnes. Malgré la répression, la nouvelle foi continue à progresser. À partir de 1850, des communautés restreintes se fixent à Bakou, Balakhani, Ganja, Barda et Sheki. De petits groupes s’installent même à Tbilissi, Batoumi, en Arménie et au Karabagh. Mais c’est la communauté de Bakou qui compte le plus grand nombre de fidèles, à tel point qu’en 1860 elle obtient la reconnaissance officielle des autorités. Elle a été très soutenue dans ses efforts de légalisation par Mirza Abdulkadir Ismayilzade, père du grand poète national Mikayil Mushfik. Des archives de la période russe et du NKVD montrent qu’en 1887 l’immeuble situé au 216 de la rue Mirza Agha Aliev (ancienne rue Djadirov) était le centre spirituel de la communauté bahaïe. Actuellement, des tentatives sont en cours pour que cette propriété soit rendue à la communauté bahaïe, mais la législation en vigueur ne prévoit pas de tels recours.

18Le succès des Bahaïs en Azerbaïdjan vient de l’importance qu’ils accordèrent dès le départ à l’éducation moderne mixte, à la tolérance et au dialogue avec les autres religions. Mais ces vues progressistes, qui allaient à l’encontre des idées religieuses dominantes de l’époque, leur ont coûté. Ainsi, le fameux akhund (chef religieux chiite) Ibrahimkhelil, apprenant que son fils s’était non seulement converti au bahaïsme mais qu’en plus il contribuait efficacement à sa diffusion, édita une fatwa le condamnant à mort. En 1901, il fut jeté dans un puits de pétrole à ciel ouvert et lapidé par la foule. Interdit de sépulture musulmane, les autorités finiront par lui attribuer un carré au cimetière de Merdekan.

19Malgré ce climat d’hostilité, des grandes figures intellectuelles azerbaïdjanaises ont fréquenté, admiré, voire embrassé le bahaïsme. Parmi elles, il faut citer le grand poète Seyid Azim Shirvani (1835-1888), le fondateur de l’opéra national Uzeyir Hadjibeyov (1885-1948), sans oublier Eliekber Sabir (1862-1911) qui a vécu longtemps parmi les Bahaïs et à qui nous devons les études les plus scientifiques et les plus fiables sur la communauté. Enfin, le grand millionnaire et magnat du pétrole, mécène et philanthrope, Musa Naghiyev (1849-1919), a fait partie de la communauté bahaïe. Membre du Conseil Spirituel de Bakou, il a pu aider la communauté à mieux faire face aux agressions extérieures.

20Bâti sur les décombres de l’Empire russe, le régime soviétique par le biais de ses idéologues défend, à partir des années 1920, avec ferme conviction l’idée que toutes les religions sont source d’obscurantisme et d’arriération. En cela, dès qu’il a assis son contrôle sur tout le pays, le régime bolchevik déclare la guerre aux grandes religions comme l’islam ou le protestantisme. Le bahaïsme est au départ épargné car il s’agit d’une petite communauté éparpillée dans quelques villes du Caucase et d’Asie centrale. Mais, très rapidement, s’amorce un changement que Walter Kolarz explique de la manière suivante:

“Islam, both in its Shiite and Sunnite form, is attacked by the communists because it is reactionary and encourages nationalist narrow-mindedness and obstructs the education and émancipation of women. Baha’iism [sic] has incurred communist displeasure for exactly the opposite reasons. It is dangerous to Communism because of its broadmindedness, its tolerance, its international outlook, the attention it pays to women’s education and its insistence on the equality of the sexes. All this contradicts the communist thesis about the backwardness of all religions. In the political sphere social reformers appear to the communists more harmful than ‘reactionaries’, and in the religious field an outlook which is mindful of modern social problems is thought more obnoxious than out-of-date obscurantism. This is perhaps why Baha’iism has attracted the attention of the Soviet communists to a much greater degree than might be warranted by the numerical strength of its supporters.”[19]

21Dès 1922, les caciques du nouveau régime lancent leurs salves contre les Bahaïs par le biais des organes officiels du Parti. Immédiatement, des mesures concrètes s’ensuivirent comme la déportation de certains Bahaïs en Iran et l’exil d’autres en Sibérie. Les publications et écoles bahaïes sont interdites, au même titre que les réunions collectives, considérées comme une menace pour le socialisme. À partir des années 1930, comme ce fut le cas pour toutes autres religions, la répression s’intensifie. Certains intellectuels sont fusillés par la police stalinienne.

22Comme dans les autres religions, la foi et la pratique bahaïes se réfugient dans le cercle familial et privé, l’espace public étant totalement interdit à toute expression religieuse. La fin du stalinisme assouplit la politique antireligieuse mais le renouveau n’intervient que bien plus tard, avec la perestroïka qui, soufflant un vent de liberté sur toute l’Union soviétique, a permis l’établissement de liens avec des Bahaïs de l’étranger. Cette ouverture politique, avec l’indépendance des républiques où sont implantés les Bahaïs, annonce une recomposition de la communauté.

La situation depuis 1990

23La fin de l’ère soviétique est pour les Bahaïs synonyme de liberté de culte retrouvée. Cependant, la lutte contre les religions durant la période soviétique avait été telle que le nombre de Bahaïs à l’orée de la décennie atteignait à peine les deux mille. Quinze ans plus tard, leur nombre est sensiblement le même. De la même manière que les autres religions, le bahaïsme connaît un processus de renouveau qui résulte de la combinaison de dynamiques internes et externes. À l’intérieur du pays, les habitants extériorisent plus facilement leur foi et leur pratique religieuse, d’autant plus que le pouvoir et les autorités semblent encourager ce phénomène d’expression publique du sentiment religieux. Quant à la dynamique extérieure, elle est venue essentiellement de Turquie. On aurait pu s’attendre à ce qu’elle provienne de Russie et d’Iran où vivent d’importantes communautés bahaïes installées de longue date mais ce sont effectivement les influences turques qui ont été les plus rapides et les plus efficaces, sans doute du fait des très bonnes relations entre Ankara et Bakou, réunis autour du discours de la turcité et de la fraternité retrouvée.

24Le phénomène de conversion occupe une place considérable dans ce renouveau. Ainsi, on estime que plus de 80 % des Bahais de Bakou sont des convertis, souvent des musulmans chiites en quête de spiritualité au moment de l’écroulement de l’Union soviétique. L’arrivée de missionnaires étrangers, turcs notamment, a facilité la conversion de certaines personnes, culturellement musulmanes ou chrétiennes, au bahaïsme. Ethniquement, la plupart des Bahaïs d’Azerbaïdjan sont Azéris mais on y trouve aussi quelques Russes et Nord-Caucasiens, Lezgis notamment[20].

25Sur le même modèle, dans les autres régions du Caucase où existent des communautés, notamment à Batoumi et au Daghestan, un certain renouveau a eu lieu également. Quant aux Bahaïs d’Arménie, la plupart ont quitté le pays dès le début des affrontements avec l’Azerbaïdjan à propos du Karabakh.

26Une des caractéristiques du bahaïsme tient au fait que la communauté de chaque ville se réunit, tous les ans, le 21 avril pour choisir ses neuf leaders. Pratique impossible durant la période soviétique, elle a été à nouveau appliquée dès 1991. À l’heure actuelle, neuf personnalités, ainsi choisies démocratiquement par les fidèles, détiennent le pouvoir décisionnel au sein de la communauté de Bakou. Les groupes de Ganja, de Soumgaït et de Salyan ont chacun leurs neuf représentants chargés d’administrer la vie de la communauté. Dans les autres villes, le nombre réduit de Bahaïs ne permet pas de choisir de représentants qui peuvent se rendre à Bakou pour les grandes fêtes du bahaïsme.

27Contrairement à d’autres religions, le bahaïsme n’accorde pas une importance centrale aux lieux de culte. La plupart du temps, les réunions et les cérémonies religieuses ont lieu dans les maisons familiales. À Bakou se trouve tout de même le siège de l’association qui sert de centre de conférences, d’école et de salle de réunion. L’éducation religieuse y est assurée par les leaders de la communauté. La littérature religieuse est souvent importée de Russie où le papier est moins cher. Tous les dix-neuf jours, la communauté se réunit en session plénière pour des prières collectives, souvent des lectures de textes sacrés, notamment les œuvres de Baha’ullah et de ‘Abdu’l-Baha.

28La communauté de Bakou est globalement bien acceptée par les musulmans et parfaitement intégrée dans le pays et la société. Conformément à la loi, ses deux associations religieuses sont enregistrées auprès du Comité d’État pour les affaires religieuses. Elle a également deux membres qui font partie d’un Forum créé par l’État, l’Union des Organisations Religieuses Pour la Paix. Cette reconnaissance officielle de son statut permet à la communauté de pratiquer librement son culte et de vivre paisiblement sa vie religieuse. En revanche, dans la république autonome du Nakhitchevan, où en principe les lois de la république d’Azerbaïdjan doivent s’appliquer, la petite minorité bahaïe est constamment harcelée par les autorités qui ne lui accordent aucune liberté d’association. Toutefois, les Bahaïs ne sont pas les seuls à être inquiétés pour leurs croyances religieuses. Des adeptes de sectes chrétiennes, notamment des disciples adventistes, pentecôtistes ou baptistes, sont aussi constamment menacés par les autorités de la République autonome.

Notes

    1 Pour une vision historique et scientifique du bahaïsme, Momen MOJAN, The Babi and Baha’i Religons 1844-1944: Some Contemporary Western Accounts, George Ronald, Oxford, 1981. Voir également le livre toujours d’actualité de Hippolyte DREYFUS, Essai sur le baha’isme : son histoire, sa portée sociale, Paris PUF 1962, 152 p. Enfin, on peut aussi se reporter à la sérieuse étude de J-D. MARTIN, The Baha’i Faith: the Emerging Global Religion, San Francisco, 1984.

    2 Hippolyte DREYFUS, op. cit.

    3 Hippolyte DREYFUS, op. cit.

    4 Pour une vision bahaïe du bahaïsme et sur tous les textes fondateurs de cette religion, voir deux sites très complets : http://www.religare.org/unity-mba.htm, à la date du 4 avril 2006 et également http://www.bahai.org, site international de la foi bahaïe.

    5 Voir la définition qu’en donne l’Encyclopédie Britannica, disponible aussi sur : http://global.britannica.com/topic/Bahai-Faith à la date du 25 mars 2006.

    6 Encyclopédie Britannica, op. cit.

    7 Voir l’encyclopédie des religions de l’humanité : http://www.bahai-biblio.org/centre-doc/dico/encyclopedie-religions.htm, 25 mars 2006.

    8 Encyclopédie Britannica, op. cit.

    9 Sur le Florilège, voir : http://www.religare.org/livre/bahai/ba-bah-florilege.php, à la date du 4 avril 2006.

    10 Ainsi, cette croyance en un gouvernement universel explique l’engouement des Bahaïs pour les Nations-Unies où ils disposent de représentations permanentes dans plusieurs organismes à Genève, Nairobi et New York.

    11 Toutes les œuvres de Soghi EFFENDI traduites en français se trouvent sur le site : http://www.religare.org/livre/bahai/ba-bah-florilege.php, à la date du 4 avril 2006.

    12 Voir l’encyclopédie des religions de l’humanité : http://www.bahai-biblio.org/centre-doc/dico/encyclopedie-religions.htm, 25 mars 2006.

    13 Sur la rivalité russo-anglaise en Iran, voir George CURZON, Persia and the Persian Question, vol. 1, Longmans, 1892, London, reprinted in Frank Cass, London, 1966. Pour une version russe de ces récits, voir Andrew D. KALMYKO, Memoirs of a Russian Diplomat (Ed. Kalmykow, Alexandra), Yale University Press, New Haven and London, 1971.

    14 Tadeusz SWIETOCHOWSKI, Historical Dictionary of Azerbaijan, New York, Secarcrow, 1999.

    15 La première véritable traduction en russe de textes bahaïs fut l’œuvre d’Aleksandr KAZEM-BEG, un savant russe d’origine iranienne, professeur d’études persanes à l’Université de Saint-Pétersbourg entre 1849 et 1860. Voir Graham HASSALL, “Notes on the Babi and Baha’i Religions in Russia and its territories”, Journal of Baha’ Studies, vol. 5, n° 3, 1993, pp. 41-80. URL : http://bahai-library.com/hassall_babi_bahai_russia.

    16 Sur la communauté bahaïe de Achkhabad, voir Moojan MOMEN, “The Baha’i Community of Ashkkhabad: its Social Basis and Importance in Baha’i History”, in Shirin AKINER (éd.), Cultural Change and Continuity in Central Asia, London, Kegan Paul International, 1991, pp. 278-305. URL : http://www.momen.org/relstud/ishqabad.htm.

    17 Moojan MOMEN, “The Baha’i Community of Ashkhabad: its Social Basis and Importance in Baha’i History”, op. cit.

    18 Sur la liaison entre Lev Tolstoï et le bahaïsme, voir William P. COLLINS and Jasion T. JAN, “Lev Tolstoy and the Báb’ and Bahá’ Religions: A Bibliography”, The Journal of Bahá Studies, vol. 3, n° 3, 1991, pp.1-10. URL : https://bahai-studies.ca/wp-content/uploads/2014/05/3.3-CollinsJasion.pdf

    19 Walter KOLARZ, Religion in the Soviet Union, London, Macmillan, 1961, p. 470.

    20 Voir http://www.bahai.az.

Auteurs
    Azer Jafarov, Chercheur à l’Académie des Sciences, Bakou
    Bayram Balcı, Directeur de l’Institut français d’études sur l’Asie centrale, Tachkent

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